Le 27 mai 2025, l’Union européenne a fait un choix audacieux, voire risqué. En allégeant les règles sur les émissions de CO2 pour le secteur automobile, elle a ouvert une brèche béante dans ses engagements climatiques. Une décision qui, sous couvert de pragmatisme, pourrait bien être le cheval de Troie de la compétitivité industrielle. Alors que les transports continuent de dominer les émissions, ce secteur reste l’angle mort de l’écologie européenne.
Un compromis entre écologie et économie
Les eurodéputés ont tranché : 458 voix pour, 101 contre. Désormais, les constructeurs automobiles calculeront leurs moyennes d’émissions de CO2 sur trois ans, de 2025 à 2027, au lieu d’une seule année. Objectif affiché : donner un répit aux industriels pour atteindre leurs obligations climatiques et éviter les amendes dès décembre 2025. Fini le couperet annuel, place à la flexibilité. Une victoire pour les grands groupes européens, Renault en tête, dont le PDG Luca de Meo a plaidé pour une réforme plus « réaliste » face à la « pression asiatique ».
Le Parlement, avec le soutien de la droite, des centristes et des socialistes, a cédé à ces arguments. « La pression des constructeurs a été telle qu’il a été jugé nécessaire d’établir une moyenne sur trois ans au lieu de relever les compteurs le 31 décembre », a reconnu Pascal Canfin (Renew).
Les ONG dénoncent une capitulation
Pour les ONG, cette « flexibilité » n’est rien d’autre qu’une capitulation. Transport & Environnement dénonce une décision qui « ralentit l’électrification en Europe » et renforce la dépendance aux véhicules thermiques. Diane Strauss, directrice de la branche française, prévient : « Cette concession faite à l’industrie automobile doit être la dernière. La Commission doit rester ferme sur les objectifs 2030 et 2035 ».
Les écologistes européens, eux aussi, crient au scandale. La députée belge Saskia Bricmont parle d’un « énième recul dans la lutte contre le dérèglement climatique » et d’un choix qui retarde la démocratisation des véhicules électriques abordables.
Quant à l’extrême droite, elle estime que ce sursis ne va pas assez loin. Le Rassemblement national appelle à « abroger complètement » le mécanisme d’amendes. Son président, Jordan Bardella, n’a pas mâché ses mots : « Les Européens n’adhèrent pas à la stratégie du tout-électrique (…) quoi qu’en pensent les idéologues de Bruxelles ».
Une industrie toujours polluante
Malgré les discours d’innovation verte, l’industrie automobile reste un acteur majeur du réchauffement climatique. Les transports sont le seul secteur à avoir accru leurs émissions de CO2 depuis 1990 : +33,5% entre 1990 et 2019. Les véhicules personnels représentent 61% des émissions du transport routier, qui pèse pour 20% du total des émissions de gaz à effet de serre de l’UE.
Et les véhicules électriques ? Malgré leur essor, avec 17,8% des nouvelles immatriculations en 2021, ils peinent à s’imposer face à un parc thermique encore dominant. La transition est lente, laborieuse et coûteuse.
Face à cette situation, la Commission européenne a présenté un « plan d’action » pour soutenir une filière sous tension. Un total de 1,8 milliard d’euros sera investi dans les chaînes d’approvisionnement critiques, notamment celles des matières premières pour batteries. Une stratégie défensive, motivée par la peur de perdre la bataille industrielle face à la Chine.
Europe : pacte vert ou pacte gris ?
Le paradoxe est là. L’Union européenne affiche une ambition climatique forte pour 2035, avec l’interdiction des ventes de voitures thermiques, mais multiplie les exceptions à court terme. Depuis les élections européennes de juin 2024, le paysage politique a changé : poussée de l’extrême droite, recul des écologistes. Résultat ? Le Pacte vert européen est passé à la moulinette des intérêts économiques. La révision de l’objectif 2035 n’est plus un tabou. « La prochaine étape sera de réviser cette obligation », a déjà annoncé Laurent Castillo (PPE), eurodéputé français.